« Ça ne menace personne actuellement… sauf peut-être dans le voisinage immédiat de l’usine, et encore… »
Ces mots ont été prononcés le 29 avril par le Professeur Pierre Pellerin, Directeur du Service Central de Protection contre les Rayons Ionisants (SCPRI) Ils correspondent en tout point à l’attitude des pouvoirs publics français face à ce qui allait devenir une terrible catastrophe, un drame humain épouvantable.
Le cap était fixé : nier, nier l’évidence coute que coute. Promouvoir le mensonge d’Etat ou de l’Etat, suivant la subtile nuance de Lionel Jospin à propos de l’affaire Bonnet.
Imposer ce mensonge à tous, depuis les fonctionnaires du CEA, auxquels on interdit de vérifier les chiffres officiels, jusqu’aux pompiers, dont on confisque le matériel de détection, en passant par les journalistes de la chaine de service public, auxquels on fait passer de fausses cartes météorologiques.
Nier et instaurer le black-out !
Je me souviens personnellement avoir vécu une scène caractéristique du climat régnant à l’époque. Deux ans après la catastrophe, j’ai eu l’occasion, dans le cadre de ma formation professionnelle, d’être reçu au ministère de l’Environnement avec une quinzaine d’autres élèves avocats. L’accueil était cordial, l’ambiance décontracté, les hauts fonctionnaires qui nous recevaient se montraient particulièrement affables.
Après avoir suivi de longs développements sur la pollution des rivières et les pluies acides, je risquai une question sur les retombées de la catastrophe de Tchernobyl en Corse. Les visages se figurent instantanément. On me répondit en substance qu’il ne s’était rien passé dans l’île, sur un ton destin à me faire comprendre tout ce que ma question avait de déplacé ! Nous prîmes congés dans un silence glacial, sans que l’on cherche à nous retenir davantage…
Lorsque me viennent à l’esprit les images des enfants irradiés d’Ukraine et de Biélorussie, ces « Enfants de Tchernobyl », j’ai quelques scrupules à évoquer le cas de mon pays, incomparablement moins frappés par le désastre. Pourtant, il est tout ? fait probable qu’en Corse aussi – dans une moindre mesure – Tchernobyl ait tué.
Les autorités françaises ne sont évidemment pas directement en causes dans la survenue de la catastrophe, mais leur responsabilité est grande quant aux conséquences en matière de santé publique sur le territoire soumis à leur contrôle. Aujourd’hui encore, ces conséquences ne sont pas volontiers reconnues. Nous n’en voulons pour preuve que les récents propos – pour le moins embarrassés – du Professeur Jean-François Lacronique, successeur du Professeur Pellerin : « S’il y a bien une petite augmentation… enfin… heu… une petite… je ne cherches pas à relativiser… disons qu’il y a un doublement de la pathologie thyroïdienne en France depuis une quinzaine d’années, dont on ne connait pas bien la cause… »[1]
Sans commentaire !
Toujours est-il qu’à l’époque de la catastrophe, aucune mesure de protection n’a été prise par la France, à la différence des états voisins
La Corse ayant atteint le record des précipitations au moment où passait le nuage, elle fut particulièrement touchée. Les habitudes alimentaires insulaires amplifièrent encore le danger. Dans un seul fromage, le « brocciu », on pouvait trouver jusqu’à 100.000 becquerels d’iode 131, soit la dose annuelle à ne pas dépasser pour un adulte !
Pendant que sur la péninsule italienne toute proche, de nombreux produits étaient retirés du marché, on répétait inlassablement aux Corses, comme aux Français, que les retombées étaient inexistantes. Comme si le nuage avait hésité à franchir la frontière…
Quinze années plus tard, la vérité commence à être dévoilée. Jean-Michel Jacquemin-Raffestin y avait déjà apporté une contribution déterminante à travers « Ce fameux nuage… » publié en 1998. Ce nouvel ouvrage permettra au lecteur de se faire une idée plus précise et plus actuelle des tenants et des aboutissants de cette affaire.
Au moment où je fus saisi du dossier au titre de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée de Corse, Monsieur Jacquemin-Raffestin me fit profiter de sa parfaite connaissance du sujet. Aujourd’hui, à la demande de la Commission, puis de l’Assemblée de Corse, la réalisation d’une enquête épidémiologique a été décidée.
Le mensonge commence enfin à reculer, lentement et tout aussi maladroitement qu’il s’était imposé en 1986. Car, comme le rappelle la sagesse populaire : « A bugia hè scianca ».[2]
Jean-Guy TALAMONI
Conseillé territorial
Président de la Commission des affaires européennes
De l’Assemblée de Corse.
[1] ? Tchernobyl, autopsie d’un nuage - France 3 – 12 octobre 2000.
[2] Dicton corse : Le mensonge est boiteux.