Lorsque Jean-Michel Jacquemin-Raffestin m’a demandé de rédiger la préface de son nouveau livre sur Tchernobyl, j’avoue avoir longtemps hésité. Je suis un scientifique et le contenu de ce livre ne relève pas de la science. Il fouille les poubelles de l’histoire. Mais il y a des exceptions et ce livre en est une. Il s’apparente à une investigation journalistique. Il rappelle comment, après la survenue de la catastrophe les autorités publiques et politiques de notre pays ont géré la crise liée aux retombées du nuage radioactif et comment s’est comportée une partie de l’intelligentsia scientifique.
L’absence de transparence, la désinformation, parfois même le mensonge ont été au cœur des problèmes de communication ; comme pour l’amiante, Tchernobyl recouvre une valeur pédagogique. De façon absurde, on a d’abord nié l’existence du nuage au dessus de notre pays, puis une fois l’idée du nuage devenue incontournable, on a menti sur les chiffres. Ce qui a conduit à ne pas prendre les mesures essentielles, en particulier protéger les plus exposés de nos concitoyens (en particulier les enfants) en leur imposant de prendre oralement de l’iode, afin d’éviter la survenue ultérieure de problèmes thyroïdiens. On sait à quelle faillite extrême ce type de déni sociétal pourrait conduire s’il n’était pas dénoncé avec force.
C’est donc la raison de cette préface, qui vient après celle que Théodore Monod avait rédigé pour le premier livre sur Tchernobyl de l’auteur.
Aujourd’hui, Théodore Monod n’est plus. Mais il nous a livré un message que je m’impose de transmettre en tant que médecin et que transmet l’ARTAC[1], celui de l’Appel de Paris : si nous continuons à polluer la planète comme nous le faisons aujourd’hui, c’est l’espèce humaine qui disparaîtra. Et Tchernobyl ou d’autres accidents similaires, et de façon plus générale le nucléaire, contribue à cette pollution. Mais qu’on s’entende bien ! Ce que je dénonce aujourd’hui n’est pas le nucléaire. Car nous en aurons probablement besoin dans les années à venir, même s’il est acquis que la réalisation d’économies d’énergie et l’utilisation d’énergies renouvelables seront indispensables. Je dénonce l’absence de transparence, le mensonge et finalement l’absence de courage politique. Dire qu’avec le nucléaire, il n’y a aucun danger est absurde, mais qu’il est à l’origine de tous nos maux l’est tout autant.
En matière d’évaluation des risques sanitaires, sans doute doit on souligner que l’approche des physiciens n’est pas celle des médecins et vice versa. Dans le domaine de la santé, extrapoler, prévoir est extrêmement difficile, voire impossible, même pour les spécialistes les plus avertis. Ainsi, les estimations optimistes de mon ami Maurice Tubiana ont elles été sévèrement critiquées par le prix Nobel de physique Georges Charpak, dans son dernier livre[2], alors que selon nos propres estimations à l’ARTAC, nous pensons que celles de Georges Charpak sont encore très probablement en dessous de la réalité, en raison de l’hétérogénéité biologique de répartition des doses radioactives dans l’organisme et dans les populations irradiées.
Et c’est probablement à Youri Bandazhevsky qu’il faut rendre hommage, bien qu’on ne puisse évaluer scientifiquement ses travaux, en raison du manque d’information lié à sa détention. Une détention qui en elle-même apparaît être un scandale.
Mais là encore qu’on s’entende bien ! S’il apparaît possible que la radioactivité artificielle (explosions nucléaires comprises) ait occasionnée plusieurs centaines de milliers de mort par cancer depuis ces 50 dernières années (sans compter les désordres génétiques induits et les problèmes de stérilité), aujourd’hui rien n’indique que dans notre pays, Tchernobyl ait eu un retentissement aussi important que certains le disent ou, à l’inverse, qu’il n’en ait eu aucun, comme les organismes institutionnels voudraient le faire croire. En vérité nous n’en savons rien et il est fort probable que nous n’en saurons jamais rien avec certitude, tant les analyses scientifiques sont complexes et nécessitent d’être conduites en toute indépendance. C’est ce que j’ai exprimé dans la « fable du fruit pourri »[3] selon laquelle des faibles doses de rayonnement peuvent interagir avec d’autres facteurs environnementaux. Et c’est aussi pourquoi l’ARTAC mène actuellement sa propre étude scientifique en Corse.
Or ce qui est grave ici, c’est que la très mauvaise gestion de la crise a semé le doute dans l’esprit de nos concitoyens, et qu’ils ont de ce fait totalement perdu confiance dans leurs dirigeants politiques, responsables institutionnels et même scientifiques.
Ce livre est un témoignage au jour le jour de ce que les autorités n’auraient pas dû faire. A l’occasion des 20 ans de Tchernobyl, souhaitons à ce livre un plein succès;
Dominique Belpomme.
[1] ARTAC Association pour la Recherche Thérapeutique Anticancéreuse 57-59 rue de la Convention 75015 PARIS web : www.artac.info mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
[2] Georges Charpak De Tchernobyl en Tchernobyls Odile Jacob
[3] Dominique Belpomme Ces maladies crées par l’homme Albin michel